I. Introduction : Le Cornouiller Mâle et la Question de la Fructification
Le cornouiller mâle (Cornus mas L.) est un arbuste ou un petit arbre appartenant à la famille des Cornaceae, originaire d'Europe centrale et méridionale ainsi que d'Asie occidentale. Apprécié pour sa floraison hivernale précoce et spectaculaire de petites fleurs jaunes apparaissant bien avant les feuilles, ainsi que pour ses fruits comestibles, les cornouilles, il est cultivé depuis l'Antiquité. Ces fruits, des drupes de couleur rouge à maturité, sont non seulement utilisés pour la confection de confitures, jus, et liqueurs, mais possèdent également des valeurs nutritionnelles et médicinales reconnues, étant riches en vitamine C et en composés antioxydants. Sa robustesse et sa longévité, pouvant dépasser 100 ans, en font également un sujet de choix pour les jardins et les vergers.
Cependant, une question récurrente pour les amateurs et les professionnels est celle de sa fructification. De nombreuses sources horticoles et observations empiriques suggèrent ou recommandent explicitement la plantation de plusieurs spécimens de Cornus mas, idéalement de variétés différentes, pour assurer une bonne production de fruits. Cette recommandation, loin d'être arbitraire, soulève des interrogations sur les mécanismes biologiques qui la sous-tendent. La nécessité perçue d'un deuxième plant pour obtenir des fruits en quantité satisfaisante indique que des processus biologiques spécifiques régissent la reproduction de cette espèce. Ce rapport vise donc à élucider les raisons scientifiques de cette exigence en explorant en détail la biologie reproductive du cornouiller mâle, en s'appuyant sur la littérature scientifique et les données horticoles disponibles.
Au-delà de sa production fruitière, le cornouiller mâle présente un intérêt ornemental indéniable grâce à sa floraison précoce qui illumine les jardins en fin d'hiver. De plus, ses fleurs constituent une source de nectar et de pollen précieuse pour les insectes pollinisateurs, notamment les abeilles, à une période où peu d'autres ressources sont disponibles. Comprendre les facteurs influençant sa fructification permet non seulement d'optimiser les récoltes, mais aussi de valoriser pleinement le potentiel multifonctionnel de cet arbuste.
II. Biologie Florale et Pollinisation Naturelle du Cornus mas
La compréhension des mécanismes de fructification du Cornus mas commence par l'examen de sa biologie florale. Les fleurs du cornouiller mâle sont hermaphrodites, c'est-à-dire qu'elles possèdent à la fois les organes reproducteurs mâles (étamines, qui produisent le pollen) et les organes reproducteurs femelles (pistil, composé de l'ovaire, du style et du stigmate). Cette caractéristique est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour permettre l'auto-fécondation. Les fleurs sont petites, d'un jaune vif, et regroupées en inflorescences de type ombelle simple, comptant de 5 à 15 fleurs. Ces ombelles apparaissent sur le bois nu de l'année précédente, bien avant le développement des feuilles, et chaque inflorescence est initialement protégée par un involucre de quatre bractées brunâtres à jaune verdâtre qui s'ouvrent à la floraison.
La période de floraison du Cornus mas est remarquablement précoce, survenant généralement de février à mars selon les conditions climatiques régionales. Cette précocité fait du cornouiller mâle l'une des premières sources de nourriture (nectar et pollen) pour les insectes pollinisateurs, en particulier les abeilles domestiques et sauvages, qui reprennent leur activité à la sortie de l'hiver. La pollinisation est assurée par ces insectes ; on parle de pollinisation entomophile. La surface du pollen de Cornus mas est d'ailleurs recouverte de pollenkitt, une substance adhésive typique des plantes dont le pollen est transporté par les insectes.
Un aspect intéressant de la phénologie florale du cornouiller mâle, rapporté par certaines observations, est que les jeunes plants pourraient initialement produire une majorité, voire exclusivement, des fleurs mâles (staminées), c'est-à-dire des fleurs ne possédant que des étamines fonctionnelles et pas de pistil viable. Ce n'est qu'avec la maturité de l'arbre que des fleurs parfaites, hermaphrodites et pleinement fonctionnelles, seraient produites en abondance. Le nom spécifique "mas", signifiant "mâle" en latin, pourrait d'ailleurs faire allusion à cette particularité juvénile ou, selon d'autres interprétations, à la dureté et à la robustesse de son bois. Ce phénomène de "masculinité juvénile", s'il est avéré et généralisé, pourrait expliquer pourquoi un jeune cornouiller mâle isolé ne fructifie pas, indépendamment des questions de compatibilité pollinique qui se posent pour les arbres matures. Il est important de distinguer cette phase développementale des mécanismes d'auto-incompatibilité qui affectent la reproduction des arbres adultes. Les informations disponibles ne font pas état de manière claire d'une dichogamie marquée (décalage temporel de la maturité des organes mâles et femelles au sein d'une même fleur ou d'un même individu) chez les fleurs hermaphrodites matures de Cornus mas, bien que ce soit un mécanisme courant chez d'autres espèces pour favoriser la pollinisation croisée.
La floraison très précoce, bien qu'avantageuse pour les pollinisateurs, expose également les fleurs aux aléas climatiques. Des températures basses, le gel tardif, ou des périodes de pluie prolongée peuvent réduire l'activité des insectes pollinisateurs. Une faible activité des pollinisateurs peut limiter le transport du pollen et, par conséquent, la nouaison, même si les conditions de compatibilité sont réunies. La présence de plusieurs arbres, augmentant l'attractivité générale pour les pollinisateurs et la quantité de pollen disponible, pourrait partiellement compenser ces conditions défavorables.
III. Auto-Fertilité, Pollinisation Croisée et Leurs Conséquences sur la Fructification
Pour comprendre pourquoi la présence d'un deuxième plant de cornouiller mâle est souvent recommandée, il est essentiel de définir quelques termes clés de la biologie de la reproduction. L'auto-pollinisation est le transfert de pollen des étamines vers le pistil de la même fleur ou d'une autre fleur du même individu (ou d'un clone génétiquement identique). La pollinisation croisée, ou allogamie, est le transfert de pollen entre des individus génétiquement distincts, c'est-à-dire différentes variétés ou des plants issus de semis. L'auto-fertilité est la capacité d'une plante à produire des graines et des fruits viables après auto-pollinisation, tandis que l'auto-stérilité (souvent synonyme d'auto-incompatibilité) est l'incapacité d'une plante à le faire, malgré la production de pollen et d'ovules fonctionnels.
Concernant le Cornus mas, la littérature scientifique et horticole présente un tableau nuancé. De nombreuses sources le décrivent comme étant "partiellement auto-fertile". Cela signifie qu'un plant isolé peut théoriquement produire quelques fruits par auto-pollinisation. Cependant, cette auto-fertilité est souvent faible ou variable, et la production de fruits sur un arbre isolé est fréquemment décevante en quantité. D'autres sources, s'appuyant sur des études plus spécifiques ou des observations de terrain attentives, indiquent que le Cornus mas "nécessite une pollinisation croisée pour une bonne fructification" , ou que la fructification est significativement "meilleure" ou "plus abondante" en présence d'un partenaire de pollinisation. Cette apparente divergence s'explique par le fait que même si une auto-fécondation limitée est possible, elle n'est généralement pas suffisante pour assurer une récolte commercialement viable ou satisfaisante pour un jardinier. Le terme "partiellement auto-fertile", bien que techniquement correct, peut ainsi induire en erreur le jardinier qui vise une production fruitière significative, car il tend à minimiser l'importance cruciale de la pollinisation croisée.
Les avantages de la pollinisation croisée pour le Cornus mas sont principalement quantitatifs. Elle conduit à une augmentation significative du taux de nouaison (le pourcentage de fleurs qui se transforment en fruits) et, par conséquent, à un rendement global plus élevé par arbre. Une étude rapporte que les rendements en culture, où la pollinisation croisée entre différents cultivars ou plants issus de semis est plus probable, peuvent atteindre 30 à 80 kg par plant, alors que les buissons sauvages, potentiellement plus isolés, produisent entre 2.8 et 10 kg par plant. Bien que moins documenté dans les extraits fournis, il est également possible que la pollinisation croisée améliore certains aspects qualitatifs des fruits, comme leur calibre ou le développement des graines.
Pour que la pollinisation croisée soit efficace, le pollen doit provenir d'un individu génétiquement distinct. Planter deux arbres issus de la même variété greffée (qui sont donc des clones génétiquement identiques) n'apportera pas les bénéfices de la pollinisation croisée si l'espèce présente des mécanismes d'auto-incompatibilité. Il est donc nécessaire de planter des cultivars différents ou d'associer un cultivar greffé avec un plant issu de semis, ce dernier étant génétiquement unique.
D'un point de vue évolutif, la pollinisation croisée est une stratégie qui favorise le brassage génétique et augmente la diversité génétique au sein des populations naturelles. Cette diversité accrue améliore la capacité d'adaptation des espèces à des environnements changeants et réduit les risques liés à la consanguinité. Les mécanismes d'auto-incompatibilité, qui seront discutés plus loin, sont l'un des moyens par lesquels les plantes "forcent" cette allogamie, assurant ainsi ces avantages évolutifs. La recommandation de planter plusieurs cornouillers mâles distincts s'inscrit donc non seulement dans une logique agronomique d'amélioration du rendement, mais aussi dans le respect des stratégies reproductives naturelles de l'espèce.
IV. Les Bases Scientifiques : L'Auto-Incompatibilité chez le Genre Cornus
L'auto-incompatibilité (AI) est un mécanisme présent chez de nombreuses plantes à fleurs, qui empêche qu’une plante se féconde elle-même avec son propre pollen. Ce processus, contrôlé par les gènes de la plante, se déclenche après que le pollen est arrivé sur la fleur, mais avant que l’ovule ne soit fécondé. Concrètement, le pistil (la partie femelle de la fleur) peut reconnaître son propre pollen ou celui de plantes trop proches génétiquement, et le rejeter.
Ce mécanisme a pour but d’encourager la fécondation croisée entre plantes différentes, ce qui améliore la diversité génétique des descendants et évite les problèmes liés à la consanguinité (croisements entre individus trop proches).
Il existe deux grands types d’auto-incompatibilité :
- Gametophytique (AIG) : le rejet du pollen dépend du patrimoine génétique du grain de pollen lui-même, qui ne contient qu’un seul jeu de gènes (haploïde).
- Sporophytique (AIS) : le rejet dépend du patrimoine génétique de la plante mère qui a produit le pollen, qui possède deux jeux de gènes (diploïde).
Dans les deux cas, l’incompatibilité repose sur un ou plusieurs gènes spécifiques regroupés dans une région appelée locus S, qui peut exister sous de nombreuses formes (allèles).
Des signes d’auto-incompatibilité ont été observés chez plusieurs espèces de cornouillers (genre Cornus). En particulier, des essais d’auto-pollinisation (quand le pollen d’une plante est utilisé sur ses propres fleurs) ou sur des plants isolés ont montré de faibles taux de formation de graines chez :
- Cornus florida (cornouiller à fleurs),
- Cornus kousa (cornouiller du Japon),
- Cornus mas (cornouiller mâle),
- Cornus sericea (cornouiller stolonifère),
- Cornus canadensis (cornouiller du Canada).
Ces faibles taux de fécondation sont caractéristiques d’un système d’auto-incompatibilité, même si les mécanismes exacts ne sont pas toujours étudiés en détail pour chaque espèce.
Dans le cas de Cornus sericea, des expériences ont comparé la croissance des tubes polliniques (petits canaux formés par le pollen pour atteindre l’ovule) après auto-pollinisation et pollinisation croisée.
Résultat : lorsqu’un grain de pollen partage le même allèle S que le pistil, sa croissance s’arrête dans le style (la partie qui relie le stigmate à l’ovaire), et la fécondation échoue. Cela correspond à une auto-incompatibilité gamétophytique (AIG), contrôlée par un seul gène S qui existerait sous plusieurs formes.
Une étude plus approfondie menée sur Cornus florida a confirmé ces observations. Elle a comparé la germination du pollen (sa capacité à se développer sur le stigmate) dans deux situations :
- après auto-pollinisation,
- après pollinisation croisée contrôlée.
Dans les deux cas, le pollen germe bien au départ, et les mêmes quantités de grains germés sont observées après 24 heures. Mais le tube pollinique issu du pollen "auto" n’arrive pas à atteindre l’ovule, ce qui réduit fortement les chances de fécondation.
Cela montre que l’auto-incompatibilité est un processus actif de reconnaissance génétique, et non une simple préférence de la plante pour le pollen d’une autre.
Concernant Cornus mas, il n’existe pas encore d’étude aussi poussée sur le mécanisme moléculaire précis. Toutefois, le fait qu’il montre de faibles taux de fécondation en auto-pollinisation, tout comme d’autres cornouillers étudiés, rend très probable l’existence d’un système similaire d’auto-incompatibilité, sans doute aussi de type AIG.
Il est également important de rappeler que, même avec une pollinisation croisée réussie, la fécondation peut échouer si le pollen est de mauvaise qualité.
Chez Cornus mas, des recherches ont examiné :
- la forme du pollen,
- sa capacité à germer,
- la proportion de grains anormaux (c’est-à-dire non viables ou mal formés).
Des taux élevés de pollen anormal (jusqu’à 27,6 % chez certains cultivars) ont été relevés, ce qui peut limiter la fertilité globale, même en présence d’un bon partenaire pollinisateur.
Enfin, une exception intéressante est mentionnée : un hybride, Cornus elwinortonii ‘Starlight’, peut produire des fruits sans fécondation (on parle de parthénocarpie).
Cependant, aucun cas de parthénocarpie n’est documenté pour Cornus mas pur, ce qui indique que, dans cette espèce, la production de fruits dépend en général d’une fécondation réussie et donc de la présence de pollen compatible.
Fleur de Cornus mas : petite fleur jaune à quatre pétales, regroupée en inflorescence avant l’apparition des feuilles, typique de la floraison précoce du cornouiller mâle.
V. Apport de la Littérature Scientifique Spécifique au Cornus mas
Au-delà des comparaisons avec d’autres espèces du genre Cornus, certains chercheurs ont étudié spécifiquement la reproduction du Cornus mas (le cornouiller mâle). Une affirmation très nette, issue d’une étude de Pirlak et Güleryüz (2005) – citée dans deux publications différentes – indique clairement que « le cornouiller mâle nécessite une pollinisation croisée pour une bonne fructification ». Cette conclusion repose sur des recherches ciblées, menées directement sur C. mas, et constitue donc un argument solide pour répondre à la question de la nécessité d’un second plant.
Plusieurs études ont analysé en détail les caractéristiques du pollen de Cornus mas, un élément clé de la reproduction sexuée. On sait aujourd’hui que :
- Les grains de pollen sont en général elliptiques (en forme d’ellipse),
- Ils sont trizonocolporés : cela signifie qu’ils possèdent trois zones d’ouverture (des sillons et des pores) par où le tube pollinique peut émerger,
- Leur surface externe (exine) est couverte de petites pointes appelées échinules.
La taille des grains varie selon les variétés : la longueur mesurée de pôle à pôle (du haut vers le bas du grain) se situe en général entre 21 µm et 27 µm, ce qui montre une diversité naturelle entre les cultivars.
Des recherches ont aussi porté sur la viabilité du pollen (sa capacité à rester vivant et fonctionnel) et sur sa capacité à germer (à produire un tube pollinique en laboratoire).
Ces tests utilisent des produits colorants comme le TTC (chlorure de triphényltétrazolium) ou l’IKI (iodure de potassium iodé) : ils permettent de voir si les grains de pollen sont actifs ou morts.
Les résultats montrent que :
- La viabilité peut être élevée chez de nombreuses variétés de Cornus mas,
- Mais elle varie beaucoup d’un génotype à l’autre,
- De même, les taux de germination changent en fonction de la composition du milieu utilisé (quantité de sucre, d’acide borique, etc.).
Un point important : chez certaines variétés, une proportion non négligeable de grains de pollen anormaux a été observée (grains rétrécis, pauvres en cytoplasme, etc.), allant de 3,9 % à 27,6 %. Ce pollen défectueux ne peut pas féconder, même s’il vient d’une plante compatible.
De plus, la quantité de pollen produite varie elle aussi selon les cultivars.
Conclusion : planter un deuxième Cornus mas n’est pas toujours suffisant pour assurer une bonne récolte. Il faut choisir une variété qui produit beaucoup de pollen, et surtout du pollen de bonne qualité et compatible.
Dire que "la mise à fruit dépend principalement du processus de fécondation" revient à souligner un point essentiel :
- Il ne suffit pas que le pollen atteigne la fleur,
- Il faut qu’il soit viable, compatible, et fonctionnel,
- Et qu’il parvienne à féconder l’ovule pour former une graine, condition généralement indispensable à la formation du fruit.
Cela appuie une nouvelle fois l’idée que la parthénocarpie (production de fruits sans graines, donc sans fécondation) n’est pas le mode habituel de fructification chez Cornus mas.
Enfin, plusieurs programmes de sélection variétale sont en cours pour améliorer Cornus mas, avec des banques de variétés (appelées collections de germoplasme) créées dans différents pays :
- En Ukraine, plus de 100 variétés ont été sélectionnées,
- En Autriche, 447 accessions (plantes ou graines récoltées) ont été analysées génétiquement.
Ces programmes cherchent à améliorer des critères variés :
- la taille et la forme du fruit,
- sa couleur,
- le rapport pulpe/noyau,
- la date de maturation,
- le rendement,
- la résistance au froid,
- la vigueur de l’arbre,
- et, point essentiel ici, l’auto-fertilité.
Le fait même que l’auto-fertilité soit un objectif explicite de sélection montre qu’elle est rare ou insuffisante dans les variétés actuelles.
Si tous les Cornus mas se pollinisaient efficacement eux-mêmes, ce ne serait pas un critère recherché.
Cela renforce donc l’idée que la pollinisation croisée est nécessaire pour obtenir une fructification optimale dans cette espèce.
Éclosion printanière : gros plan sur la floraison abondante de Cornus mas – petites fleurs jaunes réunies en grappes avant l’apparition des feuilles, symbole de la précocité du cornouiller mâle.
VI. Implications Pratiques pour les Arboriculteurs et Jardiniers
Les connaissances scientifiques sur la biologie de la reproduction du Cornus mas ont des implications directes pour les arboriculteurs et les jardiniers souhaitant optimiser la production de cornouilles.
La recommandation principale, largement étayée par les sources horticoles et les principes biologiques discutés, est de planter au moins deux variétés (cultivars) distinctes de Cornus mas, ou d'associer un cultivar avec un plant issu de semis. Pour une fructification encore plus abondante et régulière, la plantation d'un groupe de trois variétés ou formes différentes peut être envisagée. Cette pratique vise à assurer une diversité génétique suffisante pour surmonter les éventuelles barrières d'auto-incompatibilité et fournir un pollen compatible.
Lors du choix des partenaires de pollinisation, il est crucial que les plants soient génétiquement différents. Deux arbres du même cultivar greffé, étant des clones, sont génétiquement identiques et ne pourront donc pas se polliniser efficacement entre eux si un système d'auto-incompatibilité est en jeu. En revanche, un plant issu de semis est génétiquement unique et constitue un excellent partenaire de pollinisation pour un cultivar greffé, et vice-versa. Bien que la plupart des variétés de Cornus mas aient des périodes de floraison qui se chevauchent naturellement en raison de leur précocité commune, s'assurer de cette synchronie est un plus.
Concernant l'espacement et la disposition des plants, les pollinisateurs doivent être plantés à une distance permettant aux insectes, principalement les abeilles, de voyager facilement de l'un à l'autre. Une distance d'environ 3 mètres (10 pieds) est suggérée si les cornouillers sont cultivés en haie. Pour des arbres plus isolés, une distance allant jusqu'à 30 mètres (environ 100 pieds) peut encore permettre une pollinisation croisée, mais une proximité plus grande est généralement préférable pour une efficacité maximale.
Il existe une variabilité au sein des cultivars spécifiques quant à leur degré d'auto-fertilité. Certains, comme le cultivar 'Kazanlak', sont décrits comme étant "auto-fertiles", suggérant qu'ils peuvent fructifier de manière satisfaisante même lorsqu'ils sont plantés seuls. Cependant, même pour ces cultivars, la présence d'un autre pollinisateur peut potentiellement améliorer le rendement. D'autres cultivars populaires, tels que 'Jolico', 'Pancharevski', et 'Shumenski', sont décrits comme "partiellement auto-fertiles" et il est explicitement mentionné qu'ils bénéficient d'une pollinisation croisée pour une meilleure production de fruits. Le tableau ci-dessous synthétise les informations de pollinisation pour quelques cultivars :
Tableau 1 : Caractéristiques de pollinisation de quelques cultivars de Cornus mas
Cultivar | Caractéristique de pollinisation |
---|---|
'Kazanlak' | Auto-fertile |
'Pancharevski' | Partiellement auto-fertile, mais meilleure production avec pollinisation croisée |
'Shumenski' | Partiellement auto-fertile, mais meilleure production avec pollinisation croisée |
'Jolico' | Partiellement auto-fertile, mais meilleure production avec pollinisation croisée |
'Elegant' | Auto-fertile, mais taux de nouaison nettement amélioré en présence d’un second cultivar |
Type sauvage / semis | Bon pollinisateur pour les cultivars greffés |
Cultivars en général | Majoritairement partiellement auto-fertiles, mais à des degrés divers et souvent très faibles ; fructification optimisée par la présence d’un second cultivar compatible, voire d'un 3ème |
Il est également important de prendre en compte que les jeunes arbres de Cornus mas peuvent mettre plusieurs années avant de commencer à fructifier : 3 à 5 ans pour la première floraison et 6 à 10 ans pour une fructification significative s'ils sont issus de semis. Les variétés greffées sont généralement plus précoces et peuvent commencer à produire des fruits dans les 1 à 2 ans suivant la transplantation. De plus, comme mentionné précédemment, les très jeunes arbres peuvent ne produire que des fleurs mâles durant leurs premières années.
La notion de "pollinisateur efficace" va au-delà de la simple présence d'un deuxième arbre. Une floraison synchrone, une bonne production de pollen viable et compatible par le plant pollinisateur, ainsi que la présence et l'activité d'agents pollinisateurs (abeilles) au moment de la floraison sont toutes des conditions nécessaires à une pollinisation croisée réussie. Si l'un de ces maillons fait défaut, la fructification peut être compromise malgré la présence de partenaires potentiels.
VII. Conclusion
La question de savoir pourquoi un deuxième plant de cornouiller mâle (Cornus mas) est nécessaire pour obtenir des fruits trouve une réponse claire à travers l'analyse de sa biologie reproductive et des observations horticoles. Bien que les fleurs de Cornus mas soient hermaphrodites, l'espèce est largement considérée comme partiellement auto-fertile, de nombreux individus et cultivars manifestant des caractéristiques suggérant un système d'auto-incompatibilité. Ce mécanisme génétique, dont la fonction est de promouvoir la diversité génétique, limite l'efficacité de l'auto-pollinisation.
En conséquence, la pollinisation croisée, c'est-à-dire le transfert de pollen entre des individus génétiquement distincts (différents cultivars ou plants issus de semis), s'avère cruciale pour assurer une nouaison et un rendement en fruits optimaux. La simple présence d'un seul arbre, même s'il peut produire quelques fruits, ne suffit généralement pas pour une récolte abondante et régulière. La plantation de plusieurs variétés distinctes ou l'association de cultivars avec des plants issus de semis permet de fournir le pollen compatible nécessaire à une fécondation efficace.
Les études scientifiques spécifiques au Cornus mas confirment cette nécessité de pollinisation croisée et mettent en lumière la variabilité de la qualité et de la quantité du pollen entre les différents génotypes, soulignant l'importance du choix des partenaires de pollinisation. Bien que des recherches plus approfondies sur les mécanismes moléculaires précis de l'auto-incompatibilité chez Cornus mas seraient utiles pour affiner notre compréhension, les données actuelles, combinées aux analogies avec d'autres espèces du genre Cornus, fournissent une explication scientifique robuste.
Pour le jardinier ou l'arboriculteur, le message est donc clair : pour maximiser les chances d'une récolte généreuse de cornouilles, il est fortement recommandé de planter au moins deux cornouillers mâles génétiquement différents à proximité l'un de l'autre, en tenant compte de la possibilité que certains cultivars puissent être plus auto-fertiles que d'autres. Cette approche respecte non seulement les impératifs biologiques de l'espèce mais assure également une meilleure valorisation de cet arbuste aux multiples attraits.
VIII. Références Scientifiques Clés
Bien que de nombreuses informations proviennent de fiches techniques et de sources horticoles, les éléments scientifiques clés s'appuient sur les travaux suivants, directement ou indirectement cités dans les documents analysés :
- Hummel, R. L., Ascher, P. D., & Pellett, H. M. (1982). Genetic control of self-incompatibility in red-osier dogwood (Cornus sericea). Journal of Heredity, 73 (4), 308–309. https://doi.org/10.1093/jhered/73.4.308
- Klimenko, S. (2004). Recherches sur les cultivars et le rendement de Cornus mas. Journal of Fruit and Ornamental Plant Research, Special Edition, 12, 93–98.
- Mert, C., & Soylu, A. (2009). Pollen morphology and anatomy of cornelian cherry (Cornus mas L.) cultivars. HortScience, 44(2), 519–522. https://doi.org/10.21273/HORTSCI.44.2.519
- Pirlak, L., & Güleryüz, M. (2005). Determination of pollen quality and quantity in cornelian cherry (Cornus mas L.). Bangladesh Journal of Botany, 34 (1), 1–6. https://www.bdbotsociety.org/public/article/2005%20June/01.pdf
- Pirlak, L., & Güleryüz, M. (2005). Cornus mas requires cross‑pollination for good fruiting. Acta Scientiarum Polonorum. Hortorum Cultus, 18(6), 141–150. https://doi.org/10.5555/20203195754
- Reed, S. M. (2004). Self-incompatibility in Cornus florida. HortScience, 39 (2), 335–338.