Brève histoire des vignes interdites

Des cépages hybrides interspécifiques (cépages résistants) à la rescousse à des vignobles européens.

Cette brève chronique retrace un aperçu (survol) des évolutions et les controverses qui ont façonné le monde des vignes, de l'essor des pratiques agricoles ancestrales aux réponses apportées face à des menaces inédites. Retrouvez notre gamme de vignes interdites ici.

La Prospérité des Vignobles en Europe

La vigne (Vitis vinifera), domestiquée depuis des millénaires, a prospéré en Europe grâce à un climat favorable et à l'adoption de pratiques agricoles adaptées. L'expansion de la viticulture en Europe est étroitement liée à l'influence des Grecs et des Romains, qui ont non seulement amélioré les techniques de culture, mais ont aussi étendu la vigne à travers leurs empires.

L'Arrivée des Maladies

Cependant, au milieu du XIXe siècle, la viticulture européenne fut confrontée à une crise sans précédent avec l'arrivée de maladies et de parasites originaires d'Amérique du Nord. Ces maladies incluaient l'oïdium (1845), le phylloxéra (détecté en France dans les années 1860), et le mildiou. Ces pathogènes et insectes dévastèrent les vignobles de Vitis vinifera, extrêmement sensibles et dépourvus de résistance naturelle contre ces nouvelles souches et cet insecte ravageur.

Les Réponses et Controverses

Pour lutter contre le phylloxéra, une technique fut développée : greffer des vignes européennes sur des porte-greffes américains résistants à l'insecte. Cependant, cette solution ne fut pas immédiatement adoptée. Plusieurs autres méthodes furent tentées, incluant l'utilisation de produits chimiques et de méthodes culturales différentes, mais la greffe sur des porte-greffes américains demeura la plus efficace.

Parallèlement, des vignes américaines (hybrides de Vitis Vinifera et de Vitis Labrusca, Aestivalis, Riparia, Vulpina etc.) furent importées et plantées en Europe. Bien qu'elles résistaient aux maladies, le vin produit n'était généralement pas à la hauteur des standards régionaux (naissance des AOC). Ces vignes non européennes étaient parfois désignées sous le nom de vignes hybrides productrices directes (HPD).

L'Interdiction des Vignes Hybrides

Au fil des ans, l'utilisation des cépages hybrides a suscité des controverses. En voici un aperçu en France et en Italie :

Le cas français : En France, les débats politiques sur la gestion de la crise viticole ont été marqués par des conflits d'ego et des luttes de pouvoir. Des figures politiques influentes, comme le sénateur Joseph Capus, défenseur de la qualité du vin français, ont joué un rôle clé dans l'élaboration de nouvelles législations. La loi Capus de 1934, interdisant la plantation de vignes hybrides productrices directes en France et promouvant leur arrachage, visait à préserver la qualité et l'intégrité des vins français.

Cependant, dans les zones reculées des Cévennes, ces interdictions étaient souvent ignorées, en raison de l'adaptabilité de ces cépages aux sols pauvres et à la sécheresse et à leur facilité de multiplication.. De plus, la résistance des Cévenols à l'application stricte de ces réglementations était aussi une forme de rébellion contre l'autorité centrale (contre Paris), reflétant leur désir d'indépendance et leur méfiance historique envers les décisions extérieures. Cette résistance n'était pas seulement agricole, mais aussi culturelle et symbolique. Les vins issus de ces vignes interdites (Clinton, Noah, Othello, Isabelle, Jacquez et Herbemont…), souvent produits pour la consommation familiale ou la vente à petite échelle, sont devenus des emblèmes de la résilience cévenole.


Affiche de l'époque incitant à arracher les vignes interdites

... et le cas italien : En Italie, un mouvement similaire s'est développé, visant également à protéger la qualité et la réputation des vins italiens. Les vins de cépages hybrides et vignes interdites n'étaient généralement pas considérés comme étant à la hauteur des standards de qualité traditionnels. En Vénétie, le Clinton, un croisement entre Vitis Riparia et Vitis Labrusca, s'est imposé comme l'hybride le plus populaire. Deux variétés existaient : le Clinto, avec de petites grappes régulières et un goût plus doux, et le Clintòn, avec de grandes grappes irrégulières et un goût plus fort. Ces variétés étaient souvent vinifiées ensemble, produisant un vin parfumé, peu alcoolisé, au goût sauvage et à la couleur violet intense.

La prolifération de ces hybrides aurait menacé la qualité du vin italien, menant à l'interdiction de leur culture et de leur commerce par la loi n° 376 du 23 mars 1931, ciblant notamment le Clinton et le Bacò. Cette interdiction a été renforcée par la loi n° 729 du 2 avril 1936, qui concernait également la Vite Isabella (vigne isabelle ou Uva Fragola Nera en Italie), et par un décret de 1965 interdisant la vinification de raisins autres que ceux de Vitis Vinifera. Après de fortes protestations, une loi de 1966 a autorisé la culture de la Vigne Isabelle pour la table. La réglementation européenne a ensuite clairement interdit l'utilisation de ces cépages pour la vinification, sauf pour la consommation familiale ou à des fins expérimentales.

La Réglementation Actuelle et vers un possible renouveau

Aujourd'hui, l'Union européenne régule strictement la plantation et la commercialisation des variétés de vignes. Les cépages autorisés sont inscrits dans des catalogues officiels, et les vignes hybrides, bien que non complètement interdites, sont souvent exclues des appellations d'origine protégée (AOP).

Cependant, avec les défis contemporains du changement climatique et la nécessité d'une viticulture durable, l'intérêt pour certaines vignes hybrides résistantes aux maladies est renouvelé. Ces vignes pourraient potentiellement réduire la dépendance aux pesticides et adapter la viticulture aux conditions climatiques changeantes.

Lors de notre rencontre passionnante avec Me Blanche Magarinos Rey en 2018, avocate de Kokopelli — l'association fervente défenseur de la biodiversité semencière et du droit des paysans à reproduire leurs semences —, le sujet a été abordé : la levée de l'interdiction sur certains cépages jadis proscrits. Me Magarinos Rey a souligné que, pour renverser ces restrictions désuètes au sein de l'Union européenne, une mobilisation citoyenne robuste et une visibilité accrue à Bruxelles seraient indispensables. En effet, pour que la Commission européenne envisage de réviser ces réglementations, un élan populaire significatif et peut-être un peu de médiatisation seraient nécessaires pour remettre en question la pertinence actuelle de ces interdictions.


Vin rebelle. Assemblage de Clinton et Isabelle

Conclusion

L'histoire des vignes interdites en Europe est un reflet des évolutions culturelles, économiques et scientifiques du continent. De la lutte contre des maladies dévastatrices à la préservation de la qualité des vins, les vignes ont traversé des périodes de crise et de renaissance. La réglementation continue d'évoluer, témoignant de la recherche d'un équilibre entre tradition et innovation, entre contestation et interdiction. 

Malgré leur statut souvent illégal, les vignes interdites ont encore leurs admirateurs, tant anciens, dans les Cévennes (France) et la Vénétie (Italie), que nouveaux, grâce à l'émergence de mouvements d'autonomie alimentaire (permaculteurs et néo-ruraux). Dans cet esprit, nous faisons la promotion des vignes interdites et des cépages hybrides, que nous vendons à la pépinière. Notre recherche est constamment axée sur des vignes de résistantes aux maladies et précoces. Ces variétés uniques sont à découvrir sur nos parcelles tests. En saison, les visiteurs ont même l'opportunité de les goûter, leur permettant ainsi d'apprécier directement la richesse et la diversité de ces cépages peu communs.

Liste des variétés d'asiminiers (Asimina Triloba)
Une liste non exhaustive de variétés d'asiminiers. Certaines sont disponibles en Europe et en Belgique.